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Forum Politique - la reaction d'expats a bon ton
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1 juillet 2005

Immigration.. Attention on Weil!

Monsieur le ministre d'Etat,

Je tiens en premier lieu à vous remercier de l'intérêt que vous avez bien voulu porter à mes récents propos. J'ai lu avec attention votre lettre du 13 juin dernier.

Vous vous étonnez tout d'abord que l'immigration de travail ayant été stoppée en 1974, une immigration familiale se soit maintenue. En fait, c'est un phénomène banal, et qui n'est pas propre à la France : on le note aussi dans tous les pays d'Europe du Nord qui sont devenus des pays d'immigration après 1945 (Royaume-Uni, Belgique, Allemagne, etc.). Cette immigration familiale a d'abord concerné pendant de nombreuses années les familles des dernières vagues de travailleurs venus en France, d'Afrique ou d'Asie, juste avant 1974. Contrairement à des croyances largement répandues, l'arrêt de l'immigration en 1974 n'a pas provoqué une hausse, mais une forte baisse du regroupement des familles de résidents étrangers. Celui-ci a ensuite été relancé par des régularisations exceptionnelles intervenues en 1981, 1991 et 1997, et sur lesquelles je reviendrai. Aujourd'hui, l'immigration de familles résulte en majorité de liens - de mariage ou de parenté - qui se développent entre Français et étrangers. En 2002, la majorité des titres de séjour"familles" ont été accordés à des conjoints de Français ou à des parents d'enfants français (53 000 sur 95 000). La France s'internationalise et les Français aussi.

Selon vous, l'immigration légale annuelle vers la France de 150 000 étrangers (chiffre de 2002) est trop importante, elle a trop augmenté et elle favorise à l'excès l'immigration fondée sur des "droits", principalement liens de famille. Vous ajoutez : "pourquoi ne pas faire comme l'Australie, le Canada, le Royaume-Uni, la Nouvelle Zélande ou la Suisse où l'immigration de travail représente plus de 50% des flux ?"

La réalité est plus complexe. Au Royaume-Uni, pour l'année 2003, 47 % des 140 000 permis de résidence accordés l'ont été pour liens de familles, 21% pour un emploi. Dans les autres pays, le nombre plus important d'immigrés au titre d'un emploi ne s'explique pas par un flux d'immigration familiale inférieur à ce qu'il est en France. En France le flux annuel total représente 0,24 % de la population français (150 000 sur 62 millions), l'immigration de famille en représentant 63 % (95 000 dont 53 000 conjoints ou familles de français), soit 0,15 % de la population française.

Or les pays dont vous parlez ont un taux d'immigration familiale supérieur à celui de la France d'au moins 40 % : Australie : 0,21 % (42 200 en 2003-2004) ; Canada : 0,23 % (69 000 permis en 2003) ; Nouvelle-Zélande : 0,25 % (9 850 permis en 2003-2004) ; Suisse : 0,51 % (38 830 en 2004).

Si dans ces pays, l'immigration familiale est inférieure à l'immigration de travail, c'est que l'immigration totale y est donc largement supérieure à ce qu'elle est en France. En Nouvelle-Zélande, pour l'année 2003-2004, l'immigration de 20 600 représente 0,54 % de la population de 3 840 000 habitants. En Australie, toujours pour 2003-2004, 114 360 permis ont été délivrés, ce qui représente 0,57 % de la population (20 millions d'habitants). Au Canada, les 221 000 permis de séjour délivrés en 2003 représentent 0,74 % de la population de 30 millions d'habitants. Enfin en Suisse, 96 270 permis ont été délivrés en 2004, ce qui représente 1,27 % des 7 530 000 habitants.

Ainsi tous ces pays, où l'immigration de travail est très largement supérieure à ce qu'elle est en France, n'en respectent pas moins, sinon mieux que la France, le droit au regroupement des familles. Prenons l'exemple du Canada : si nous respections les taux canadiens notre immigration de famille serait de 140 000 personnes et l'immigration totale de 460 000. Loin de freiner l'immigration de famille par des quotas, le Canada vient d'ailleurs de prendre - le 18 février 2005 - des mesures pour la rendre encore plus aisée.

C'est aux Etats-Unis que vous empruntez l'idée de quotas d'immigration familiale. Une large majorité de l'immigration aux Etats-Unis est d'origine familiale (668 000 des 1063 000 immigrants admis en 2002), tout comme en France. La majorité de ces autorisations de séjour (486 000) sont comme en France attribuées à des conjoints ou des familles de citoyens américains et ne sont pas soumises à quota. Les quotas touchent en fait les familles des résidents étrangers avec les conséquences que nous connaissons bien : le nombre d'autorisations d'immigrer est tellement limité, la liste d'attente est si longue que nombre de ces familles entrent et s'installent en situation irrégulière. Elles constituent aujourd'hui une bonne partie des 11 millions d'étrangers dans cette situation aux Etats-Unis qui attendent leur régularisation.

En outre, les Etats-Unis ne sont ni la France, ni l'Europe et les normes constitutionnelles qui nous régissent sont différentes.

Le droit de mener une vie familiale normale est un principe résultant de l'alinéa 10 du préambule de la Constitution de 1946 (qui a valeur constitutionnelle depuis 1971) selon lequel "la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement".

Il a été consacré pour la première fois au bénéfice des résidents étrangers dans un arrêt du Conseil d'Etat du 8 décembre 1978, dit "arrêt Gisti", sous la forme d'un principe général de droit s'imposant à l'administration. Ce principe a été à nouveau consacré par le Conseil constitutionnel en 1993 (décision n° 93-325 DC du 13 août 1993), lors de l'annulation de certaines dispositions de la loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France (loi Pasqua II). Le Conseil a considéré des dispositions restreignant le droit au regroupement familial comme contraires à la Constitution car il résulte du dixième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 "que les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale" et que ce droit comporte en particulier "la faculté pour ces étrangers de faire venir auprès d'eux leurs conjoints et leurs enfants mineurs sous réserve de restrictions tenant à la sauvegarde de l'ordre public et à la protection de la santé publique".

Patrick Weil

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